La Rédaction
Démocratie Participative
22 mars 2025
Pierre-Antoine Cousteau
Paru en 1958 dans Rivarol (N°403)
France-Observateur constatait l’autre semaine avec consternation les progrès « effrayants » du racisme parmi les masses laborieuses de la métropole. En admettant, comme l’affirme notre confrère progressiste, que cet état d’esprit soit généralisé, il provient en tout cas d’un réflexe – le même réflexe que celui des « pauvres blancs » des États du Sud pendant la guerre de Sécession, le même réflexe que celui des « petits blancs » d’Alger, beaucoup plus « ultras » que les (soi-disant) féodaux du colonialisme. Mais il ne doit rien à un enseignement doctrinal. L’enseignement doctrinal se développe, lui, dans un sens tout à fait opposé. Et sans qu’il s’élève jamais, tant à droite qu’à gauche, la moindre voix pour défendre, justifier, rationaliser les réflexes de défense raciste. Bien au contraire, il s’est fait sur ce point une sorte d’unanimité des clercs que l’on ne retrouve nulle part ailleurs et qui ne laisse pas d’être quelque peu déconcertante. Car, en somme, alors que nos intellectuels d’Occident s’éparpillent sur les autres grands problèmes et aussi sur les petits en une multitude de factions, sous-groupes, sous-tendances et sous-nuances, dès qu’il s’agit du racisme, ils redeviennent instantanément monolithiques et adhèrent à la condamnation péremptoire, sans appel, de M. Etiemble : « Le racisme est le seul péché inexpiable. »
Ce dogme manichéiste — le racisme étant, au sens théologique du terme, le « Mal » en soi — est si solidement répandu et il apparaît si redoutable de l’enfreindre que même les individus les plus enclins à adopter, dans les faits, un comportement « raciste » se gardent bien de le justifier idéologiquement. On a si parfaitement réussi à leur inspirer la honte de leur propre instinct de conservation qu’on a pu voir récemment une certaine communauté européenne, menacée au premier chef dans sa légitime primauté et mieux avertie, semblait-il, que tout autre des périls du « libéralisme », se ruer dans l’Intégration avec la légendaire frivolité de Gribouille ».
Lorsque d’aventure, sur un point quelconque du globe, à Little Rock ou à Pretoria, un raciste surmonte sa mauvaise conscience (préfabriquée) et prend ses responsabilités, le scandale est énorme. Mais ce qui est plus grave encore que la réprobation philosophique dont on l’accable aussitôt, c’est l’incompréhension totale à laquelle il se heurte. Peut-être les ouvriers interwievés par France-Observateur le comprendraient-ils. Pas les clercs. Ceux-ci, à la lettre, demeurent stupides. Pour eux, un individu qui tente de préserver son ethnie demeure aussi inintelligible qu’un fou furieux. On ne discute pas avec lui. On le douche et on lui passe la camisole. La semaine dernière, M. Henri Bénazet qui n’est certes point un des ornements de notre intelligentzia mais qui colporte d’assez « signifiante » façon les idées reçues – s’écriait dans L’Aurore: « Quelle ETRANGE IDÉE pousse les Sud-Africains blancs à choisir toujours comme chef de gouvernement le plus exalté des politiciens racistes? »
L’idée, pour M. Bénazet et ses congénères, est encore plus « étrange » qu’abominable. Définition d’étrange dans le Petit Larousse: «contraire à l’usage, à l’ordre, au bon sens; extraordinaire, bizarre.» Or ce qui est authentiquement étrange, c’est-à-dire contraire au bon sens, extraordinaire, bizarre, c’est justement que l’on puisse trouver « étrange » cette idée-là qui se confond étroitement avec l’instinct de conservation. Est-il vraiment « étrange » que l’on veuille survivre ? Toute la question est là. Et elle se pose ou non que cela plaise pour chacun d’entre nous, hommes blancs, héritiers, dépositaires de la civilisation de plus l’homme blanc. Je dirai c’est aujourd’hui, dans notre Occident ravagé par tant d’absurdes querelles, abruti par tant de mythes grotesques, la question qui prime toutes les autres, la question Numéro Un.
La tragédie, c’est que les hommes blancs n’en prennent généralement conscience que lorsqu’il est trop tard. A l’époque déjà lointaine où je traduisais le De Viris sur les bancs du lycée de Bordeaux, il y avait toujours un nègre dans chaque classe. Ce nègre traditionnel, provisoirement importé du Sénégal, dont Bordeaux était la tête de pont, ne posait aucun problème. Un nègre sur trente-cinq ou quarante élèves, nous ne pouvions soupçonner qu’il constituait un péril. Aucun d’entre nous n’aurait songé à lui imposer un traitement discriminatoire — tant il est vrai que l’instinct de conservation ne joue qu’au-delà d’une certaine densité. Mais croit-on que les choses se seraient passées aussi suavement s’il y avait eu à Bordeaux 300 000 nègres, de quoi remplir la moitié du lycée d’élèves noirs?
Little Rock, Arkansas, 1957, la 101e division aéroportée qui a débarqué en Normandie force à la pointe des baïonnettes la population blanche à accepter des noirs dans leurs écoles
Je ne conteste nullement que, lorsqu’on raisonne de ces choses hors de leur contexte, les mesures de discrimination raciste prennent une allure choquante. De quel droit ce Faubus soutenu, on oublie toujours de le dire, par la quasi-unanimité de ses administrés (2) empêche-t-il telle gentille écolière noire d’aller à l’high school blanche de Little Rock? Et de quel droit l’Afrikander Verwoerd renforce-t-il les rigueurs de l’Apartheid? De quel droit? De ce droit que M. Bernard Lecache appelle- mais à des fins toutes différentes-le « droit de vivre ».
Dans l’exposition « Le juif et la France » qui se déroule en 1941 à Paris, le juif Bernard Lecache, fondateur de la Licra, est dénoncé pour ses actions contre les Français de souche
Dans l’Arkansas et en Afrique du Sud, l’heure est passée des élégances et des subtilités sentimentales. Les hommes blancs ont le dos au mur. La densité des gens de couleur est telle sur leurs territoires qu’ils n’ont plus le choix qu’entre la vie et la mort. La vie, avec tout ce qu’elle comporte inévitablement de brutalité et d’injustice. Ou la mort, par abdication, par renoncement.
Que la vigilance des blancs de l’Arkansas et de l’Afrique du Sud se relâche tant soit peu, que l’on renonce à certaines mesures qui, de loin, apparaissent comme absurdement vexatoires, que l’intransigeance cesse d’être totale et même insolente, et le flot aussitôt submergera tout. Car le problème est perpétuellement mal posé. Pour les belles âmes de France, d’Angleterre et des Etats-Unis, le blanc qui opte pour la ségrégation ne le fait point, je le répète, par légitime souci de conservation, mais par méchanceté pure. Et c’est bien ce qui rend si malaisée toute espèce de discussion sur ce sujet. On prête a priori au blanc ségrégationniste la volonté de nuire à l’homme de couleur, et on lui fait porter, par surcroît automatiquement pourrait-on dire, la responsabilité rétroactive de toutes les injustices bien réelles commises jadis à l’égard des indigènes.
Il n’est pas douteux que la traite des noirs fut un crime. Pas douteux non plus qu’il fut criminel — toutes les nations européennes ont plus ou moins commis ce crime — de recruter des soldats de couleur pour les mêler aux démentielles guerres fratricides de ce dernier siècle. Et j’admets que l’exploitation colonialiste s’assortit d’abus multiples et d’actes inhumains. Mais j’attends qu’on m’explique pourquoi le seul moyen d’effacer ces injustices révolues serait de leur substituer une autre injustice.
Il n’est pas moins injuste, pas moins révoltant, de condamner à mort une communauté blanche en l’intégrant à une majorité noire qu’il ne l’était jadis de dépeupler un village du Gabon pour fournir de la main-d’œuvre aux planteurs de Géorgie.
Et les conséquences de cette injustice-là apparaissent singulièrement plus graves. Car en définitive, les descendants des esclaves transplantés en Amérique sont ainsi sortis de leur barbarie originelle bien avant leurs cou- sins de l’Afrique noire. Tandis que l’autre processus, celui qui consiste à diluer des groupements de blancs dans une masse de couleur va très exactement à contre-courant de la civilisation.
On rougit de proférer un pareil truisme (auquel l’imposture progressiste donne toutefois l’allure d’un paradoxe). Rien de vraiment grand, de vraiment… valable n’a jamais été fait depuis trente siècles sur cette planète que par des hommes de race blanche, par des Européens, et par les Américains du Nord qui sont des Européens transplantés.
Il est possible qu’il y ait un jour un siècle de Malikoko comme il y eut un siècle de Périclès, possible qu’un Voltaire en babouches écrive l’équivalent de Candide, qu’un Beethoven malgache compose une Neuvième Symphonie, qu’un Bambara perfectionne la géométrie non euclidienne, qu’un citoyen du Yémen dépasse la fission nucléaire et que l’on découvre parmi les intouchables hindous, qui meurent si glorieusement de faim devant les vaches sacrées, le gaillard qui révolutionnera la locomotion intersidérale.
Au risque de choquer les penseurs installés dans le néo-conformisme contemporain, je constate — constatation scandaleuse — que ce jour n’est pas arrivé. Contrairement à ce qu’affirment malhonnêtement les antiracistes professionnels, ces constatations d’évidence n’impliquent nullement qu’il faille maltraiter les gens des races moins douées. Mais l’égalité n’est pas la justice. En l’occurrence, elle est le contraire de la justice, elle est l’injustice suprême. A plus ou moins longue échéance, elle ne peut aboutir — sans aucun bénéfice pratique pour les candidats à la civilisation — qu’à déposséder les hommes de race blanche de leur existence même, c’est-à-dire à priver la civilisation des gens qui lui ont donné son éclat et qui la perpétuent.
C’est pour cela que les unions mixtes sont le plus affreux attentat que l’on puisse concevoir contre l’avenir de l’humanité. Pour cela aussi que toutes les précautions apparemment saugrenues ou scandaleuses — l’interdiction d’aller dans les mêmes piscines, de voyager dans les mêmes autobus, d’étudier dans les mêmes écoles — se trouvent en définitive justifiées puisqu’elles n’ont d’autre but que de prévenir la pire disgrâce: le métissage.
On voit mal, au surplus, ce que peuvent avoir d’intolérables les mesures de ségrégation, en quoi il est plus humiliant, pour un écolier noir, d’avoir des condisciples noirs que pour un écolier blanc d’étudier dans une high school réservée aux seuls blancs. La véritable égalité est dans l’existence de communautés distinctes et non dans un brassage générateur des désordres les plus désastreux.
Il ne s’agit plus hélas, pour les hommes blancs, de maintenir leur domination sur l’ensemble de la planète. Leurs sanglantes et grotesques querelles de bornes-frontières sur le continent européen et l’assistance qu’ils ont cru malin d’accorder aux Asiatiques et aux Africains (qu’on se rappelle la joie imbécile de certains Occidentaux lorsqu’en 1905 les soldats et les marins du Tsar se firent corriger par les Japs) les ont délogés de presque toutes leurs positions impériales.
Sauf en Algérie où le million d’Européens interdit tout compromis et en Afrique du Sud où les Blancs ont fait le nécessaire pour éviter d’être balayés, on voit mal comment le reste du continent noir n’échapperait pas, à plus ou moins brève échéance, aux Européens. Les Européens et leurs frères d’Amérique du Nord (chassés de Chine et d’Indonésie) se trouvent donc — géographiquement parlant — en pleine récession. Rejetés dans leurs patries d’origine, la question qui se pose à eux n’est plus de conquérir mais de conserver ce qui peut encore être sauvé. Et d’abord de rester ce qu’ils sont, c’est-à-dire des hommes blancs.
Pour les Allemands, les Italiens ou les Espagnols « soulagés » depuis beaucoup plus longtemps que nous de leurs prolongements d’outre-mer, la tâche est aisée. Elle l’est beaucoup moins aux USA où vingt millions de noirs sont prêts pour peu que faiblissent les « étranges » préjugés des Sudistes à faire de l’Amérique du Nord un nouveau Brésil. Il faut croire à en juger par les émeutes de Notting Hill — que la situation n’est pas non plus de tout repos en Angleterre.
Mais c’est tout de même la France qui est la plus menacée. Au moment où elle est privée de tous les avantages matériels de son impérialisme, elle se trouve condamnée à en subir les inconvénients décuplés. On lui a ôté des sujets; on lui impose en échange, par dizaines de millions, des citoyens essentiellement inassimilables dont l’intégration réelle — si jamais elle se faisait — mettrait un terme à son existence, en tant que nation française, beaucoup plus sûrement que la plus sévère défaite sur un champ de bataille européen.
Issue des Celtes, des Romains, des Germains et des Vikings, la France a supporté gaillardement d’être parcourue, au cours des siècles, par les armées anglaises, espagnoles et allemandes, et elle peut se permettre sans inconvénient de recruter aujourd’hui ses joueurs de football en Pologne et ses maçons en Sicile. Je n’imagine pas qu’elle résisterait au brassage dans le « grand ensemble africain » contre lequel ne la dresse aucune de ces solides préventions racistes qui ont assuré la survie des Afrikaners et des Sudistes américains. A moins bien sûr que l’on ne trouve dans les couches populaires les réflexes de défense qui scandalisent tant France-Observateur et que les intellectuels distingués, eux, sont bien incapables d’avoir.
J’ajoute que je suis sans illusion. Les évidences que je viens d’exposer sont tellement aveuglantes qu’il n’y a pas la moindre chance qu’un gouvemement de la République en fasse jamais la base de sa politique. Mais, du moins, en égrenant ces constatations scandaleuses, j’aurai fait mon devoir.
Pierre-Antoine COUSTEAU + (1906-1958).
(1) Je n’entends nullement engager sur ce point la responsabilité de RIVAROL qui, malgré la réputation que lui font ses ennemis, reste l’un des derniers refuges de la libre discussion.
(2) La politique raciste du gouverneur Faubus a été approuvée par 33 voix contre 0 au Sénat de l’Arkansas et par 94 contre une à la Chambre des députés de ce même État. Difficile de prétendre que le peuple ne s’est pas prononcé souverainement.
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